Narcisse en
son royaume
Un
jour, en regardant ses genoux dans le bus, elle s’était demandé quel garçon
pourrait résister à l’envie de les toucher. Elle les trouvait si lisses,
brillants même à la lueur du plafonnier. Un peu dorés, ombrés d’un fin et blond
duvet.
Elle
avait envie de les mouler de sa main, et quand elle le faisait, elle jouissait
de leur douceur de soie.
Entrouverts
sous la jupe cintrée, parfois serrés, ces genoux qu’aucune autre main n’avait
encore écartés. Elle n’avait que quinze ans alors.
Le
trajet était long, et la vibration du diesel entretenait cet état de confusion
des sens. Un trouble, une envie profonde et diffuse, un manque. Dans son ventre,
ce besoin instinctif montait, elle désirait. Qu’un garçon, et elle pensait
« un homme » la désire à son tour. Elle se savait belle, au fond,
même si elle n’aimait pas toujours son reflet dans le miroir. Elle se savait à
la tête d’un capital de chair et de formes bien conformes à l’envie d’un membre
du sexe opposé. Elle n’avait jamais pensé l’homosexualité.
Comment
pouvaient-ils tous être aveugles au point de l’ignorer ? Comment se
faisait-il qu’aucun être de chair de sang, même un seul, n’ait encore osé
l’approcher, la quérir ?
L’enfant
ne savait pas que les hommes ont besoin d’être invités, incités, encouragés.
Parfois,
dans ses rêves éveillés, elle souhaitait qu’un garçon, celui qui lui avait tapé
dans l’œil, celui qu’elle aimait en secret, il y en avait toujours eu un,
successivement brun, blond ou châtain, dans ses fantasmes, que cet élu de son
cœur, donc, la suive en se cachant. Descende du bus après elle, et fasse le
chemin à quelques mètres, sur ses talons. Elle imaginait son regard à lui posé
sur ses hanches, sa taille fine, ses épaules droites, sa nuque élégante et nue.
Elle
ne se retournait pas, pour ne pas gâcher la scène.
Evidemment,
jamais ce vœu ne s’était réalisé.
Cécile
en son espoir leva les yeux ce jour-là dans le bus. Aucun regard de braise sur
elle n’était fixé.