jeudi 7 juin 2012

Narcisse en son royaume


Narcisse en son royaume

Un jour, en regardant ses genoux dans le bus, elle s’était demandé quel garçon pourrait résister à l’envie de les toucher. Elle les trouvait si lisses, brillants même à la lueur du plafonnier. Un peu dorés, ombrés d’un fin et blond duvet.
Elle avait envie de les mouler de sa main, et quand elle le faisait, elle jouissait de leur douceur de soie.
Entrouverts sous la jupe cintrée, parfois serrés, ces genoux qu’aucune autre main n’avait encore écartés. Elle n’avait que quinze ans alors.
Le trajet était long, et la vibration du diesel entretenait cet état de confusion des sens. Un trouble, une envie profonde et diffuse, un manque. Dans son ventre, ce besoin instinctif montait, elle désirait. Qu’un garçon, et elle pensait « un homme » la désire à son tour. Elle se savait belle, au fond, même si elle n’aimait pas toujours son reflet dans le miroir. Elle se savait à la tête d’un capital de chair et de formes bien conformes à l’envie d’un membre du sexe opposé. Elle n’avait jamais pensé l’homosexualité.
Comment pouvaient-ils tous être aveugles au point de l’ignorer ? Comment se faisait-il qu’aucun être de chair de sang, même un seul, n’ait encore osé l’approcher, la quérir ?
L’enfant ne savait pas que les hommes ont besoin d’être invités, incités, encouragés.
Parfois, dans ses rêves éveillés, elle souhaitait qu’un garçon, celui qui lui avait tapé dans l’œil, celui qu’elle aimait en secret, il y en avait toujours eu un, successivement brun, blond ou châtain, dans ses fantasmes, que cet élu de son cœur, donc, la suive en se cachant. Descende du bus après elle, et fasse le chemin à quelques mètres, sur ses talons. Elle imaginait son regard à lui posé sur ses hanches, sa taille fine, ses épaules droites, sa nuque élégante et nue.
Elle ne se retournait pas, pour ne pas gâcher la scène.
Evidemment, jamais ce vœu ne s’était réalisé.
Cécile en son espoir leva les yeux ce jour-là dans le bus. Aucun regard de braise sur elle n’était fixé. 

lundi 27 février 2012

Toujours en vie


Toujours envie

Cette nuit, la minette m’a réveillée.
Elle voulait aller gambader à l’air libre. Trucider, boulotter des souris, les bouffer en commençant par la tête.
Dépiauter de pauvres piafs, plumés en éventail au pied des ronces.
Quatre heures quarante-quatre à mon réveil.
Il faisait frais dans l’escalier.
La chaleur de mon lit presque envolée à mon retour. Je me suis roulée en boule sur le côté, repliée en œuf sur la chaleur de mon cœur.
Les draps étaient doux.
Le ventre de ma mère, en moins liquide.


En marge


En marge

Tu faisais battre mon cœur.
 Cette nuit de juillet est tiède, presque trop chaude. Un léger frais vient de la fenêtre grande ouverte, mais ce n’est pas une brise, le rideau ne bouge pas. Tu n’es pas là.
Tout est donc bien différent, et toujours pareil.
Je suis seule encore.
Pour la troisième année consécutive, je vais partir seule en vacances, avec les enfants.  Après tout, il y a des avantages à cela.
Mais ce soir encore une fois, tu fais battre mon cœur. Il t’obéit presque comme un automate, au doigt et à l’œil.
Tu l’as déjà fait battre vendredi en entrant dans la maison.
Je te regardais, je voulais te toucher, te serrer dans mes bras.
J’avais besoin de désir, de sexe et de douceur.
Mais toi, de quoi avais-tu besoin ?
Que suis-je pour toi ?
Une parenthèse toujours. En marge, toujours. Vais-je y rester jusqu’à tourner la page ? Ou vais-je franchir la ligne rouge qui me sépare de l’histoire officielle ?
Vais-je ou pas entrer dans la page ?
Te protèges-tu ? Me protèges-tu ? Et la parenthèse est-elle encore enchantée ? Quand auras-tu envie de la refermer ?
Tandis que je m’interroge, je refuse de voir ce que j’ai déjà compris.
Ce n’est pas l’avenir qui nous le dira. Il n’y a plus d’avenir pour nous eux, déjà.

C’est fini.

Manque


Manque

Je n’aurai même pas mis un pied dans ton univers. Je reste hors de ta vie.
Ce soir, le vide au téléphone, sans prévenir.  Et je m’aperçois qu’hormis ton portable, aucun lien ne me permet de savoir où tu es.
Tu es mon pied-à-terre dans ta vie, tu peux fermer la porte et je suis à la rue.
C’est difficile de construire la durée. Moins d’un an et déjà tu parles de routine. Je dois t’arracher de la gorge un je t’aime écorché.
La pudeur et le silence s’installent.
La routine.
La routine.
La routine.
Peu de désir.
Je vis le manque. Et je ne veux pas t’imposer l’agression. Je t’aime et je te voudrais différent. Il doit y avoir une erreur.
Si je t’aime, je devrai persister dans le manque.
Manque de présence.
Manque d’attention.
Manque de désir.
Manque de force.
Le manque se compense de souvenirs. Compensation bien insuffisante.
Tu me manques. Tu passes à côté.
Quand tu es là, l’homme que j’ai rencontré, à nos débuts, me manque. Ou plutôt le fantasme d’homme qui était en moi. Tu n’étais pas cet homme, et ce n’était pas ta faute, et je me suis attachée au vrai toi.
Tu n’es pas ce fantasme, mais il y a toi, et c’est déjà beaucoup. C’est beaucoup car toi aussi, je t’aime. Comme on peut aimer la réalité, avec raison.

Eau tiède


Eau tiède

Pourquoi promettre quand on ne tient pas ? Dieu sait que je ne demandais rien. Tu as eu cette idée, toi.
Tu l’as dite.
Et tu n’as pas tenu cette promesse que toi seul avais formulée.

Pourquoi proposer quelque chose qu’on oublie après ?

Bien sûr je ne veux pas m’imposer, exiger, être pesante. Mais tu m’écris si peu. Tu es occupé.
Tu dis m’aimer, depuis quelques mois seulement.
Et déjà, tes sentiments coulent à travers moi comme de l’eau tiède.

L’amour, ce doit être brûlant. Humiliant. Délirant. Pas amer et tiède.
L’amour brûle alors que ma gorge ne ressent que de l’aigreur.
Je veux brûler, même si c’est pour en souffrir après. Je veux être aimée passionnément, d’un amour dévorant. Absolu. Comme j’aime au fond. Et personne ne le sait.
Je veux inspirer l’homme qui m’aime, qu’il m’inspire comme il respire, totalement empli de moi comme moi de lui.
Je veux le toucher, le serrer, l’embrasser, l’embraser, me livrer à lui pieds et poings liés, le haïr, lui chuchoter des mots tendres, des mots fous.
Je veux renaître de lui, qu’il m’apprenne tout ce que je sais déjà, mais en plus vivant, plus doux et plus fort.
Je veux qu’il ne puisse pas se passer de moi, qu’il m’oblige à me dépasser, à le suivre.
Je ne veux pas qu’il renonce.
Je n’ai pas besoin d’une simple présence.
Mieux vaut être seule et transie, si l’on ne peut brûler d’amour, que baigner dans l’eau tiède.
Je t’aime j’ai traversé le temps pour toi je  ne peux me passer de toi tu es celle que j’attendais celle dont j’ai toujours rêvé je suis prêt à tout pour toi, d’une traite et sans reprendre haleine, voilà ce que je veux entendre.
Je veux, oui, et pas je souhaite ou je désire.
Je veux et rien d’autre.
Tu es belle aussi, tu me plais, tu es la seule qui compte.
Je t’aime. Je ne veux pas te laisser.
Tu es ma vie. Ma force et ma faiblesse. Tu es tout pour moi.
Je me les sers moi-même avec assez de verve et je vendrais père et mère pour qu’un homme que j’aime me les serve.

Ce soir, je réalise enfin. Que je ne veux ni discrétion, ni légèreté. Je veux aimer et être aimée d’un amour total. Ou pas du tout. Je ne me contenterai plus de la tiédeur. Je lui préfère encore la solitude, et l’espoir, même vain, de l’absolu.